21.8.15

Les Œufs de Barjavel :
Une Rose au Paradis

Une rose au paradis
René Barjavel
Ed Pocket, 1982
(Ed. Presses de la Cité, 1981)

Le monde se dégrade. Au milieu de l'anarchie et de la jeunesse révoltée, chacun peut maintenant fabriquer des bombes nucléaires grâce à un procédé révolutionnaire. Pour "sauver" le monde d'une fin certaine M. Gé construit un abri ,une "arche", où il s'enferme avec un couple et ses deux enfants. Puis il déclenche l'apocalypse... Quelques années plus tard un problème se pose mettant en péril la sauvegarde de l'abri et de l'espèce. (Quatrième de couverture)
C'est l'histoire de ce couple amoureux, avant, pendant, et après le cataclysme qu'il nous raconte avec un humour constant, et avec toute la tendresse qu'il éprouve pour l'être humain, l'animal le plus vulnérable, le plus naïf et le plus maladroit de la Création. (source)


[...] Les mamelles des vaches étaient sucées en permanence par la trayeuse-transformeuse, qui livrait à la sortie le beurre enveloppé et les millions de pots de yaourts.
Le petit-lait coulait vers le malaxeur de la porcherie, dans lequel arrivait d’autre part le flot continu des  poules hors-ponte. Parvenues à leur dernier œuf, vidées de toutes leurs réserves, il ne leur restait plus que les os, un peu de peau écorchée, un bec usé, et deux ou trois plumes. Le malaxeur les brassait dans le petit-lait, et le broyeur faisait du mélange une bouillie dont les porcs se régalaient.
Tout finirait en saucisses. [...]

[...] Elle appuya. Elle sentit un petit frémissement sous son doigt, puis le tableau monta sans bruit vers le plafond. Dans le mur dégagé une porte s’ouvrit, une lumière douce et blanche s’alluma, éclairant une piscine en forme d’œuf coupé dans le sens de la longueur. Elle était assez longue et large pour qu’on y pût nager un peu, mais assez petite pour rester intime. Le mur en voûte au-dessus d’elle formait l’autre moitié de l’œuf. Il était de mosaïque blanche et crème, avec des taches d’or.
La piscine était pleine de lait. [...]

[...] — Viens ! Il y a du poulet !…
Il y avait du poulet, mais c’était du poulet froid. Pour la première fois depuis qu’il distribuait, le Distributeur l’avait livré ainsi.
Jif l’avait goûté avec méfiance, mâchouillé un peu.
— C’est drôle…
À la deuxième bouchée elle avait souri.
— C’est pas mauvais…
— Ce serait meilleur avec une mayonnaise, avait dit M. Jonas, un brouillard de nostalgie au fond de la voix.
Une mayonnaise… Pour faire une mayonnaise il faut un œuf. Sainte-Anna (le synthétiseur-analyseur) n’en fabrique pas. Il faut qu’il soit pondu. Par une poule. Il y a des poules dans le zoo. Elles dorment.
Quand on les réveillera elles pondront. Dans quatre ans.
Une mayonnaise dans quatre ans…
Attention… Il faut aussi de l’huile. Olives. Il y a des plants d’oliviers dans les réserves. « À cent ans, un olivier est un enfant », disait le grand-père paysan. Plutôt l’arachide, c’est annuel. Mais il faudrait l’Afrique. Le colza, le tournesol ?… Il y a des semences dans les réserves. On sèmera, on récoltera…
Une mayonnaise dans cinq ans.
Mais pour obtenir l’huile il faut un moulin. On construira un moulin.
Un tout petit moulin.
Pas de bois, puisqu’il n’y a plus d’arbres. Un petit moulin tout en pierres et en métal. Pour tailler les pierres il faut des outils. Pour forger le métal, fabriquer les outils, il faut trouver du minerai et du charbon, faire du feu…
Une mayonnaise quand ?
M. Jonas se rendit compte qu’il ne mangerait sans doute plus de mayonnaise de sa vie. La mayonnaise était le fruit de toute une civilisation. [...]

[...] — Vous allez manger, petite fille, dit-il. Sainte-Anna est parvenue au commencement du cycle et vous offre son chef-d’œuvre… Voulez-vous le top ?
— Non ! dit Mme Jonas.
Jean Rostand s’éteignit. Et la musiquette du Distributeur retentit. « J’ai du bon tabac. » Elle avait retrouvé ses notes. Ce fut pour tous une musique céleste. Ils se tournèrent vers le mur, anxieux, le cœur battant. Et le mur s’ouvrit. Sur le plateau d’argent était étalée une couche de paille, et sur la paille dorée éclatait la blancheur d’une chose aux formes courbes, exquises, parfaites.
— Un œuf ! dit Mme Jonas, stupéfaite.
— Ça se mange ? demanda Jif.
— Bien sûr, ça se mange, mon trésor ! Il y a même de quoi manger pour tous !
Un gros œuf… Aussi gros qu’un melon d’Espagne. Mme Jonas le prit avec délicatesse, à deux mains, les yeux brillants, le soupesa.
— Je vais le faire cuire à l’eau bouillante… Dans le creuset… Le roi des œufs durs ! Il pèse au moins deux kilos !… [...]

Extraits

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